Production du souchet dans les Cascades : des acteurs crient à la marginalisation

Le souchet ou pois sucré est cultivé au Burkina.

Le souchet, communément appelé pois sucré ou « tchogon » en dioula, est une espèce de plante herbacée cultivée à l’Ouest du Burkina Faso. Une visite dans quelques-unes des fermes dans les Cascades en ce mois d’octobre 2022, met en évidence la marginalisation de la filière, quoique rentable.

Des touffes d’herbes solidement fixées sur des billons élevés avec une charrue jouxtent un champ de maïs à Nafona, localité située dans les encablures de Banfora, province de la Comoé. Ces espèces de plantes herbacées à feuilles minces et allongées, forment une petite touffe avec des tiges dressées et lisses. Loin d’être des herbes sauvages, ce sont des plants de souchet. Difficile pour un profane de faire la différence entre la bonne et la mauvaise herbe.

Le champ force l’admiration. Magnongohié Héma, le propriétaire, ne cesse de le parcourir dans tous les sens, attestant que le changement de la couleur des feuilles est un signe de maturité du tubercule de souchet. « Quand les feuilles passent du vert au jaune, cela signifie que l’on peut récolter », dit-il. Lorsque M. Héma déclare que la production du souchet est fort rentable, il faut le croire. Engagé dans cette activité depuis son enfance avant de créer plus tard sa propre ferme en 2004, il s’en sort bien. La culture du souchet était jusqu’à une période récente, la chasse gardée des femmes. Mais, de nos jours, la courbe est en train de s’inverser. Les hommes sont entrés dans la danse. Salia Sirima est le président de la coopérative Bounouna Gohgorefa de Banfora.

C’est la culture du souchet qui l’a révélé au monde. Chez lui, il produit en contre-saison. De ses explications, l’engagement des femmes vise à garantir leur autonomie financière vis-à-vis de leurs époux. Kantagdi Héma exploite un champ de souchet dans les environs de Siniéna, dans la commune de Banfora. La physionomie de son champ laisse entrevoir une bonne récolte. Et c’est par la force des muscles qu’elle a réalisé les butes. Grâce à cette activité, dame Héma arrive à subvenir à ses besoins et vole très souvent au secours de son mari.

Des producteurs laissés à eux-mêmes

Produire le souchet n’est pas chose aisée. La non-maîtrise de l’itinéraire technique de production et l’indisponibilité des fertilisants plombent la production. Magnongohié Héma dit avoir misé beaucoup d’argent dans l’entretien de sa ferme. A l’entendre, ce n’est pas du jour au lendemain qu’on se proclame producteur de souchet. « Pour cultiver le souchet, il faut avoir les moyens. Rien que pour la fertilisation d’un hectare de souchet, il faut environ dix charretées de fumure organique ou l’équivalent de deux grosses bennes, trois sacs d’engrais NPK et deux sacs d’urée », souligne-t-il.

C’est la condition, admet-il, pour obtenir un bon rendement, entre trois et quatre tonnes à l’hectare. La filière souchet rapporte plus de 14 milliards F CFA à l’économie nationale. De quoi susciter un regain d’intérêt au niveau de la recherche. A la station de Farako-Bâ à Bobo-Dioulasso, Dr Jacob Sanou et son équipe ont fait un inventaire des variétés et procédé à des évaluations. Avec l’Institut de recherche en sciences appliquées et technologies (IRSAT), une évaluation en technologie alimentaire a été initiée. A en croire Dr Sanou, le souchet n’est pas trop exigeant en fertilisants et en pesticides.

Le sac d’engrais chimique étant vendu actuellement à 35 000 F CFA sur le marché, certains, faute de moyens, ont dû jeter l’éponge. Tchoumbéré Karama, producteur à Nafona, est l’un d’eux. Du haut de ses 45 années d’expérience dans le souchet, il a décidé cette année d’observer une pause. « L’année passée, j’ai pu produire. Mais cette année, les temps sont durs », se lamente-t-il. La conviction de M. Karama est que quelles que soient les charges, le producteur gagne toujours. Les engrais subventionnés de l’Etat sont refusés aux producteurs de souchet. Ruminant leur colère, ils crient à la marginalisation. « Nous avons sollicité de l’aide en vain.

Comme nous n’avons pas l’argent liquide pour nous approvisionner directement sur le marché, nous avons décidé de mettre l’accent sur les cultures vivrières », avoue Tchoumbéré Karama. Embouchant la même trompette que son prédécesseur, Salia Sirima exhorte le ministère en charge de l’agriculture à rectifier le tir. « Chaque année, quand nous réclamons l’engrais pour la production, on nous lance à la figure qu’il n’y en a pas pour le souchet », regrette-t-il.

De l’inorganisation des producteurs

Une structure bien organisée censée promouvoir la culture du souchet, ça n’existe nulle part au Burkina Faso. Les tentatives des producteurs de créer une union régionale dans les Cascades ont échoué. Salia Sirima, le principal porteur de ce projet, rejette tout sur le manque de moyens. La filière regroupant plusieurs acteurs dont des producteurs, des commerçants et des transformateurs, il y a lieu d’y apporter une attention particulière. Mais encore faut-il que les acteurs soient bien organisés.

Conscient que l’union fait la force et qu’en fédérant leurs énergies, ils pourront aller très loin, Salia Sirima dit avoir essayé de mettre en place une interprofession. Contre toute attente, se désole-t-il, ce projet peine à se concrétiser. Au-delà de ces multiples échecs, les

Magnongohié Héma, producteur à Nafona, affirme que la culture du souchet est rentable.

producteurs ont réussi à créer des coopératives qui fonctionnent normalement. C’est peut-être un premier pas vers la structuration de la filière, un vœu cher à tous les acteurs. Badèye Soulama est président d’une coopérative forte de 20 membres, à Siniéna. Agé de 67 ans, il continue de gratter le sol, en attendant bien sûr la relève.

« Avant, je pouvais produire jusqu’à un hectare de souchet mais avec la vieillesse et le manque de soutien, je n’en peux plus », note-t-il. Père de 14 enfants, son souhait le plus ardent est de voir sa progéniture perpétuer la production du souchet dans sa famille. « Tous les enfants ont été scolarisés grâce aux revenus générés par la vente du souchet. De ce point de vue, je ne peux pas abandonner aussi complètement la culture de ce tubercule », relève-t-il. A écouter le directeur provincial en charge de l’agriculture de la Comoé, Mathias Drabo, il n’y a pas un appui spécifique réservé à la production du souchet.

Toutefois, M. Drabo persiste et signe que des appuis en matière d’encadrement technique existent. « De par le passé, nous avons mis en place des champs-école à la demande des producteurs pour leur montrer comment cultiver le souchet. Cette année, nous n’avons pas pu mettre en place ces champs-école », atteste-t-il. Aussi fait-il remarquer, le ministère en charge de l’agriculture avait initié, il y a environ cinq ans de cela, un projet souchet. Objectif, promouvoir la culture de ce tubercule dans les zones de production comme les Cascades, les Hauts-Bassins et le Sud-Ouest.

« Ce sont des appuis financiers qui ne sont pas spécifiques à cette filière », assure Mathias Drabo. Le hic est que les partenaires du monde rural n’ont pas encore compris la nécessité d’intégrer cette culture de rente dans leurs programmes. Robert Soma, conseillé au sein du Projet d’appui à la promotion des filières agricoles (PAPFA) dans la Comoé, reconnait que le souchet ne fait pas partie de son domaine d’intervention. « Nous disposons d’un document de base qui nous donne des orientations. Il n’est pas possible de le modifier pour intégrer le souchet », précise-t-il. Le manque d’accompagnement de l’Etat est aussi perceptible tant au niveau de l’encadrement technique que dans la formation des producteurs.

« Je n’ai pas pu exploiter tout mon terrain par manque de fertilisants », déplore Matagdi Héma. En dépit des difficultés rencontrées, elle n’a pas renoncé à cette activité. Mieux, elle prétend récolter cinq sacs de 100 kg de souchet dont la vente pourrait lui rapporter, après déduction des dépenses, un bénéfice net de 100 000 F CFA. Elle envisage, en revanche, élargir sa parcelle l’année prochaine. Mais à condition que les prix des engrais soient revus à la baisse.

Le souchet, un puissant aphrodisiaque

Dans le champ de Magnongohié Héma, on découvre deux types de souchet à savoir le souchet à tubercule jaune et le souchet à tubercule marron. Le souchet jaune est le plus connu des populations et le plus sollicité. Il est par essence consommé crue comme amuse-gueule mais est également transformé en jus appelé « Horchata », un lait végétal rafraîchissant et très nutritif. Il constitue une alternative au lait de vache et au lait de soja. Dans les villages les plus reculés, il remplace souvent le lait maternel.

Quant au souchet marron, il est surtout utilisé pour accomplir des rites. Les garants de la tradition font tout pour empêcher sa disparition certaine. La plupart des semences de souchet cultivées au Burkina Faso sont issues des variétés locales. Pour pallier l’absence de variétés améliorées, l’équipe de Dr Sanou s’active à identifier les meilleures variétés locales susceptibles d’être vulgarisées à grande échelle. D’après Dr Sanou, la production des plants et semences à partir de ces variétés conservées est faite à la station de recherches agricoles de Farako-Bâ.

Par ailleurs, le souchet, en plus d’être consommé, a des vertus médicinales. Il est utilisé dans le traitement de plusieurs maladies dont entre autres, la flatulence, l’indigestion, la diarrhée, la dysenterie, les plaies. Les tubercules de souchet sont taxés d’avoir des propriétés aphrodisiaques et toniques. Ils sont en outre transformés en bière, chocolat, tourteaux, huile et appâts pour la pêche. La nécessité de faire de cette filière porteuse une priorité nationale s’impose.

Ouamtinga Michel ILBOUDO

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