Afrique du Sud : Ramaphosa sauvé par le gong

Les députés et militants de l’ANC ont su faire bloc pour permettre au président Cyril Ramaphosa de retrouver le sourire.

Cyril Ramaphosa a échappé à la mi-décembre à une procédure de destitution au parlement, grâce à la solidarité des députés de l’ANC, le parti présidentiel, qui ont voté contre. A l’origine, une affaire de gros sous, cachés, dans une des luxueuses propriétés du chef de l’Etat, et non déclarés au fisc, que des cambrioleurs ont dérobé. Mais même momentanément sorti d’affaire, le dirigeant sud-africain a écorché son image de « monsieur propre », qu’il a voulu donner, en plaçant son mandat sous le signe de la fin de la corruption, fléau ayant miné la gestion de son prédecesseur.

Les partisans du président sud-africain avaient raison de jubiler, lorsque le 13 décembre à la fin d’une session du parlement, Cyril Ramaphosa se voyait maintenu à la tête de l’Etat. Il venait d’échapper   à l’ouverture d’une procédure de destitution à l’hémicycle. En effet, l’Assemblée nationale sud-africaine a voté contre à 214 voix, pour à 148 voix et deux abstentions.

Les députés du parti présidentiel, l’ANC, qui sont majoritaires dans cette Assemblée ont fait peser la balance. Même si des fissures ont pu avoir lieu, à travers des députés mécontents du camp présidentiel, qui ont rejoint les opposants pour la circonstance, le gros de la troupe a manifesté sa solidarité et son soutien au président Ramaphosa. Au sein même de l’ANC, traversé par des courants, des opposants internes du parti ont bruyamment manifesté en demandant la démission pure et simple du successeur de Jacob Zuma, au regard de la sombre affaire de cambriolage qui a fait beaucoup de débats dans ce pays.

L’origine de cette affaire qui a éclaté en juin 2022, à la suite d’une plainte, concerne le vol, en février 2020, de 580 000 dollars en cash, appartenant au président sud-africain, dans sa ferme privée de Phala Phala. Un cambriolage effectué, avec la complicité d’un employé de maison du président, alors que celui-ci se trouvait en voyage officiel à l’étranger. Et les billets dérobés étaient cachés dans un canapé de cette propriété présidentielle située au nord de Pretoria.

Problème, cet argent n’a pas été déclaré au fisc et une fois informé du cambriolage, le président n’a pas informé formellement la police. Selon Ramaphosa, l’argent dérobé provient de la vente de ses vaches qui sont d’une race rare. Un argument qui n’a certainement pas convaincu. La commission indépendante désignée à cet effet par le parlement sud-africain en août 2022, a estimé que Cyril Ramaphosa aurait  enfreint les lois anti-corruption, violé la Constitution, abusé de son pouvoir et se serait exposé à  une situation impliquant un conflit entre ses responsabilités officielles et ses affaires privées.

Test gagnant

Sorti indemne, après être passé sous les fourches caudines de l’Assemblée nationale, Cyril Ramaphosa a dû faire face à un autre test pour toujours demeurer chef de l’Etat. Réuni en congrès du 16 au 18 décembre 2022, le parti présidentiel, l’ANC, devait se trouver un nouveau chef. Alors que l’on pensait que l’affaire du cambriolage de la ferme et des soupçons de corruption allaient constituer un blocage, le président-éleveur a encore bénéficié d’un soutien massif de la part de militants.

Durant cette rencontre élective qui s’est tenue à Johannesburg, le président a obtenu 2 476 voix de délégués, contre 1 897 pour son unique concurrent, son ex-ministre de la Santé, Zweli Mkhize, 66 ans, lui aussi mis en cause l’an dernier dans un scandale de corruption. Cette réélection de Ramaphosa à la tête de l’ANC, lui ouvre la voie à un second mandat, puisque dans le système politique de ce parti historique, son président est automatiquement le candidat à la présidentielle.

Et si l’ANC sortait vainqueur aux prochaines élections en 2024, la voie de la présidence du pays est tout tracée pour son premier responsable. Il faut dire qu’en l’absence de candidat crédible au sein du parti, Cyril Ramaphosa partait favori, largement en tête déjà, lors de la désignation des candidats en lice. De plus, il a été adoubé par l’ANC qui l’a sauvé d’une procédure de destitution au parlement.

Malgré tout, il jouit toujours d’une certaine popularité. Mais l’affaire des sommes importantes non déclarées aux fiscs, découvertes à la suite du cambriolage non aussi signalé à la police, a quand même ébranlé le président sud-africain et l’a mis dans l’embarras. Au regard de l’ampleur que prenait cette affaire, il est revenu qu’il n’était pas totalement hostile à une démission.

Et n’eut été le fait que son parti ait fait bloc derrière lui, malgré des divisions internes, il aurait passé certainement la nuit du nouvel an, comme un simple citoyen. Quoi qu’on dise, ce scandale va porter un coup à l’image de Cyril Ramaphosa qui s’est fait élire sur la base d’une lutte plus farouche contre la corruption au sein du parti. Car ce sont des scandales de corruption à répétitions qui ont plombé la présidence de son prédécesseur Jacob Zuma. L’affaire Ndankla, du nom de la résidence privée de ce dernier, rénovée à hauteur de 15 millions d’euros de fonds publics, est toujours dans les mémoires.

C’est d’ailleurs cette affaire qui l’a contraint à la démission en février 2018, à un an de la fin officielle de son mandat. Avant Zuma, Thabo Mbéki a également jeté l’éponge, avant le terme de son mandat en 2008, après avoir perdu la confiance de son propre parti, l’ANC. Cyril Ramaphosa parviendra-t-il à s’éviter cette « malédiction » qui frappe les présidents sud-africains post-Mandela ?

On pourra répondre par l’affirmative, si l’affaire Phala-phala ne connait pas de nouveaux rebondissements, l’enquête policière se poursuivant, et si d’autres scandales ne viennent pas s’ajouter. Une troisième démission avant terme d’un président issu des rangs de l’ANC, serait catastrophique pour ce parti qui domine outrageusement la scène politique sud-africaine, depuis la fin de l’apartheid en 1994 et les élections multi-raciales qui ont porté Mandela au pouvoir la même année.

Elle constituerait surtout une sortie peu honorable pour Cyril Ramaphosa, que Nelson Mandela avait qualifié de «  plus doué de sa génération » et qui était d’ailleurs son premier choix pour lui succéder. Ecarté des primaires pour la présidence de l’ANC en 1999, le parti ayant jeté son dévolu sur Thabo Mbéki, Ramaphosa, après une traversée de désert politique, s’est tourné vers les affaires où il s’est fait une fortune, avant d’effectuer un retour gagnant en politique à partir de 2012.

Gabriel SAMA