Alimentation du bétail : « Les éleveurs n’étaient pas intéressés à cultiver du fourrage », Dr Souleymane Ouédraogo, chercheur à l’INERA/Farako-Bâ

Dr Souleymane Ouédraogo : « l’alimentation des animaux constitue la première préoccupation en élevage ».

Dr Souleymane Ouédraogo est zootechnicien en service à l’Institut de l’environnement et de recherches agricoles (INERA) de Farako-Bâ (Bobo-Dioulasso). Depuis une trentaine d’années, il s’investit pour l’amélioration de l’alimentation du bétail. Dans cet entretien accordé à Carrefour africain, ce passionné des plantes fourragères fait découvrir ces espèces dont la production suscite de nos jours de l’engouement.

Carrefour africain (C.A.) : Qu’entend-on par plantes fourragères ? Souleymane Ouédraogo

(S.O.) : Avant de parler de plantes fourragères, je vais commencer d’abord par le fourrage. Le fourrage est tout ce qui est végétal que les animaux peuvent consommer. Donc ça peut être des herbes comme des arbres. Quant à la plante fourragère, elle est une plante qui produit du fourrage. Si c’est un arbre, ce sont ses feuilles ou ses gousses ou parfois ses fleurs qui sont appétées par les animaux.

Si c’est une herbacée, qui rassemble tout ce qui n’est pas ligneux, elle peut être une herbe, le sorgho, le maïs, le riz, etc. Les plantes fourragères ne sont pas seulement exotiques ; la plupart sont des espèces sauvages, natives de nos écologies. En considérant le milieu des savanes du Burkina Faso, la flore herbacée et ligneuse comporte des espèces fourragères comme des espèces qui ne sont pas fourragères, que les animaux ne mangent pas. Ces espèces disposent de moyens de défense propres qui font que si les animaux les mangent, soit ils vont développer des maladies, des diarrhées par exemple, soit ils vont mourir, parce qu’elles comportent des substances toxiques.

Il y en a aussi qui contiennent des essences un peu répulsives, qui ont un certain goût désagréable qui fait que les animaux ne les mangent pas à l’état vert. Mais tout cela est relatif, car si un animal est soumis à un stress alimentaire sévère, il peut développer une accoutumance (une sorte d’adaptation) à ces espèces jadis toxiques. Il peut même manger le carton. Sinon, naturellement, l’animal trie parmi l’offre fourragère. Quand on lui donne une grande quantité d’un aliment donné, il va trier d’abord ce qui est de meilleure qualité. En résumé, les plantes fourragères peuvent être des cultures céréalières ou des légumineuses (cultures à double usage) ou des cultures fourragères pures.

C. A. : Comment vous est venue cette passion pour les plantes fourragères ?

S.O. : C’est un peu lié à mon cursus universitaire. Parce que j’ai été formé à l’Institut de développement rural (IDR), option élevage. Donc, j’ai été trop tôt sensibilisé aux questions d’alimentation des animaux. L’alimentation des animaux constitue la première préoccupation en élevage et occasionne le plus de dépense chez l’éleveur.

Les autres aspects sont aussi importants, mais même si vous arrivez à garantir la santé de l’animal et que vous n’arrivez pas à bien l’alimenter, la production ne sera pas au rendez-vous. Donc c’est depuis l’université que je me suis intéressé aux questions de l’alimentation des animaux et bien sûr aux semences fourragères. Quand je faisais mon ingéniorat, j’ai travaillé sur la digestibilité des fourrages locaux.

C’est-à-dire que quand vous donnez du fourrage à un animal, il l’ingère. Il faut donc mesurer sa capacité d’ingestion. Car, en fonction de son poids, l’animal peut manger une certaine quantité et cela dépend des espèces. J’étais amené à récolter des espèces de fourrage et à mesurer les quantités que les animaux ingèrent. Ce sont par exemple le Brachiaria lata, le Panicum anabaptistum et le Pennisetum pedicellatum pour les herbacées et le Combretum aculeatum, le Balanites aegyptiaca, le Ziziphus mauritiana…, pour les ligneux.

Ce sont ces espèces que nous avions beaucoup utilisées pour nos essais d’alimentation dans la zone de Gampéla. Mais la difficulté, c’est comment trouver la semence pour assurer la production quand les espèces deviendront rares dans les pâturages. Pour le Pennisetum, il n’y avait pas trop de soucis. Mais pour le Brachiaria lata qui est l’une des meilleures espèces fourragères, on n’est pas arrivé à maîtriser sa production de semence jusqu’à présent.

Si j’avais fait l’option génétique des plantes, j’aurais travaillé à domestiquer le Brachiaria lata, une espèce appelée koala en mooré et qui pousse aux abords des maisons, là où il y a un peu de fertilité. Il fait des feuilles bien larges et est très appété par les animaux. Mais le seul problème est que les épillets de ses inflorescences tombent dès leur maturité. En plus, il y a les oiseaux qui picorent ces épillets. Donc, on a du mal à avoir la semence de cette espèce pour assurer la production. On compte sur la régénération naturelle pour l’avoir.

C. A. : Ces études sur les espèces fourragères remontent à quelle année précisément ?

S.O. : C’était en 1993. A cette époque déjà, il y avait des problèmes pour alimenter correctement les animaux, surtout les bœufs de trait. Il fallait chercher la semence fourragère. On a essayé, avec des collaborateurs, de récupérer des semences de Stylosanthes, de Panicum et de Brachiaria, pour faire des expérimentations avec les producteurs dans le cadre du conseil de gestion aux exploitations agricoles.

Quand j’ai eu l’opportunité de faire ma thèse de doctorat, je me suis intéressé à l’amélioration du pâturage naturel par l’introduction des légumineuses. Parce que je me suis rendu compte que les espèces qui dominent dans le pâturage naturel, surtout dans la zone soudanienne, sont des herbacées graminées.

Il y a moins de légumineuses appétées. Or, dans sa nutrition, l’animal a besoin de fourrage qui lui apporte de l’énergie, ce que les graminées lui donnent, mais aussi de fourrage qui lui apporte des protéines qu’on retrouve beaucoup plus dans les légumineuses. Donc, il faut les deux sources pour que son alimentation soit équilibrée. C’est cette pauvreté des légumineuses dans les pâturages tropicaux de la zone soudanienne qui m’a poussé à vouloir améliorer leur représentativité dans le milieu du pacage.

Quand vous regardez le pâturage soudanien, on a tendance à voir que des graminées. Alors qu’il y a aussi des légumineuses, mais ce ne sont pas toutes des légumineuses fourragères. C’est-à-dire que beaucoup d’entre elles ne sont pas appétées par les animaux à cause de leur toxicité. Par exemple, l’espèce que les Mossé appellent Garé n’est pas appétée parce qu’elle est du genre Indigofera.

Ce sont des légumineuses qui fixent de l’azote qu’on retrouve dans les pâturages. Cela veut dire que si l’on sème du fourrage naturel, le Brachiaria par exemple, au bout d’un certain temps d’exploitation, il y aura ces Indigofera qui vont pousser à l’intérieur. Et comme elles ne sont pas appétées, elles vont produire une grande quantité de semences et se développer.

Toutefois, elles jouent un rôle important, car elles fixent de l’azote qui est utilisé par les graminées parce que celles-ci n’en synthétisent pas. Les graminées ont plutôt besoin de prendre l’azote dans le sol et si ce dernier n’en est pas pourvu, ce sont les racines décomposées des légumineuses qui leur permettent de se nourrir. Les légumineuses non fourragères sont donc utiles sur le plan écologique et non pour les animaux.

C. A. : Les Burkinabè n’avaient pas l’habitude de produire le fourrage. A quel moment cette option d’en produire est-elle née ?

S.O. : On a introduit les semences fourragères à la station de Farako-Bâ en 1978. C’est un projet de la FAO qui a introduit la culture fourragère à la station de Farako-Bâ. En 1978, on y produisait déjà beaucoup de quantités de semences de Brachiaria, de Stylosanthes…, avec Balma Nébié, un de nos aînés qui n’est plus.

C. A. : Mais ce n’était pas vulgarisé …

Pour avoir un kilo de semence des Stylosanthes à l’INERA,
il faut débourser 25 000 F CFA.

S.O. : Ce n’est pas forcément cela. Même à la ferme d’élevage de Banankélédaga, on a mis le Stylosanthes, le Panicum… à cette époque. En fait, en son temps, la pression humaine et animale sur les ressources n’était pas très élevée comme aujourd’hui. Parce qu’il y avait encore du pâturage, notamment les jachères. Donc les éleveurs n’étaient pas intéressés à cultiver du fourrage. L’introduction de la production fourragère en 1978 était bonne, mais la période n’était pas opportune.

C’est à partir des années 2010 que les gens ont commencé à demander de plus en plus les semences fourragères. Dans nos activités de recherche sur l’amélioration de la fertilité des sols par exemple, nous avons expérimenté une dizaine de variétés de Casanus. On en a récolté des tonnes de semences qui sont restées pourrir dans nos magasins. Personne n’en voulait. On a fini par en donner à des femmes pour qu’elles fassent des beignets (foireau en langue locale).

Aujourd’hui, tout le monde veut le Casanus pour faire du fourrage et nourrir les animaux. C’est une question de décalage du besoin par rapport au contexte. Donc, à partir de 2010, quand les gens ont commencé à créer les fermes agro-pastorales de types plus ou moins modernes, ils ont su que la culture fourragère peut être une alternative qui va leur permettre de gérer leurs animaux, surtout en saison sèche où ils n’ont rien à manger.

C. A. : Y a-t-il des plantes fourragères prisées par les animaux qui ont disparu aujourd’hui ?

S.O. : Il y en a beaucoup, même si elles n’ont pas totalement disparu. Par exemple, le Brachiaria lata est de moins en moins présent dans les pâturages. Le Pennisetum pedicellatum (Kimbgo en mooré) et l’Andropogon gayanus (Pidim ou Mofaogo en mooré ou Karassa bin en dioula) font partie des espèces dont on nous demande les semences en quantités importantes pour réintroduire dans les zones pastorales, parce qu’elles ont disparu ou sont devenues rares.

Le ministère en charge des ressources animales avait mis l’accent sur la fauche et la conservation du fourrage naturel, puisque les éleveurs ne voulaient pas le cultiver. L’idée était que, comme il y a des fourrages naturels en abondance en saison pluvieuse, il faut simplement les faucher, les sécher puis les conserver pour en utiliser en saison sèche. L’une des meilleures espèces qui s’y prêtaient était le Pennisetum pedicellatum. Elle est très intéressante, parce qu’elle contient beaucoup de glucides circulants.

Malheureusement, le Pennisetum a tendance à disparaître dans beaucoup de zones. L’Andropogon gayanus qu’on utilise pour faire des seccos est aussi une espèce qui était abondante dans beaucoup de localités. Mais de nos jours, on en trouve rarement. Autour de Bobo-Dioulasso, c’est à Farako-Bâ que les gens viennent couper l’Andropogon gayanus pour les seccos, parce que le milieu est protégé. Donc, sa semence est de plus en plus demandée. C’est l’une des meilleures espèces du point de vue du fourrage naturel que les éleveurs reconnaissent en particulier pour ses repousses en saison sèche.

C. A. : Combien de types de plantes fourragères peut-on rencontrer au Burkina Faso ?

S.O. : On ne peut pas citer le nombre, mais je vais commencer par organiser. Il y a d’abord les ligneux et les herbacées. C’est-à-dire ce qui est arbre et ce qui est herbe. Dans les herbes, on a deux groupes : les graminées qui sont riches en énergie et les légumineuses, riches en azote. Si vous prenez les graminées comme les légumineuses, il y a des pérennes ou pluriannuelles ou vivaces qui peuvent vivre deux, quatre ou plus de dix ans et il y a les annuelles qui poussent chaque année, font leurs semences et le cycle est bouclé et s’arrête.

L’année prochaine, ce sont les semences qui vont repousser et ainsi de suite. Les espèces locales, principalement le Brachiaria lata et le Pennisetum pedicellatum font partie des graminées annuelles qui sont en voie de disparition. Au niveau des légumineuses annuelles, ce sont notamment l’Alysicarpus ovalifolius et les Zornia glochidiata. Il y a bien sûr d’autres, mais les plus importantes sont celles que je viens de citer.

Quant aux graminées pérennes les plus importantes qui sont de moins en moins présentes dans les pâturages, ce sont Andropogon gayanus, Andropogon ascinodis, Hypparhenia spp,… Au niveau des arbres aussi, on a surtout Pterocarpus erinaceus, Pterocarpus lucens, Dalbergia et Afzelia africana. Parmi les arbustes, nous avons Combretum acculeatum, Ximenia americana,…

Ce sont des espèces locales qui sont tellement émondées chaque année qu’elles sont en train de disparaître. Les jeunes caïlcédrats n’y échappent pas non plus, parce que les gens les coupent et les animaux les appètent. Il faut aussi noter que certaines de ces espèces sont très recherchées pour leur vertu médicinale. Maintenant, il y a des espèces qui ont été réintroduites, parce qu’elles sont d’origine africaine mais ont été améliorées beaucoup plus au Brésil.

Les grains de ces espèces ont voyagé avec les esclaves à travers leurs habits, leurs cheveux… Il s’agit de Brachiaria ruzizensis et de l’Andropogon gayanus. Actuellement, il y a un important travail de sélection et d’amélioration sur ces espèces fourragères pour nourrir les animaux. Au départ, la recherche nationale sur la sélection a mis l’accent sur les cultures vivrières d’abord.

Ce qui est normal, parce que la préoccupation du moment était comment nourrir les hommes et non les animaux. Elle est même encore d’actualité dans la mesure où nous sommes toujours en quête d’une souveraineté alimentaire. Même les semences fourragères qu’on a données, les gens acceptaient les prendre par politesse, mais ne les cultivaient pas ou les négligeaient.

Depuis une trentaine d’années, Dr Souleymane Ouédraogo a fait de la sélection des espèces fourragères sa passion.

Ce n’était pas une priorité. L’accent était plutôt mis sur le volet humain avec la production des légumineuses à graines, telles que le niébé et le voandzou, et des graminées comme le sorgho, le maïs et le riz. On a donc beaucoup de sélectionneurs pour les cultures vivrières alors qu’on n’en a pas pour le fourrage. Cependant, de plus en plus, les sélectionneurs des cultures vivrières sont sensibilisés à la sélection des doubles usages.

Par exemple, les variétés de niébé KVX-745-11P et Teek-Songo ont été sélectionnées pour leurs feuillages plus riches et plus abondants. Leur production de graines est moins importante, mais peut atteindre 800 kilogrammes en moyenne à l’hectare. Mais celle de biomasse est très importante et peut aller jusqu’à deux ou trois tonnes de matière sèche à l’hectare.

Les sélectionneurs du sorgho ont aussi fait pareil, avec des variétés à double usage (Sariasso 14, Sariasso 16, Sounbatimi, Grinkan, ICSV-1049,…). Pour le maïs, on a des variétés « stay green » comme Espoir, FBC 6 et même des hybrides, telles que Komsaya et Bondofa qui restent vertes au moment où les épis sont à maturité.

C. A. : Vos semences sont-elles vendues ou offertes gracieusement aux producteurs ?

S.O. : Dans le temps, on donnait gratuitement les semences et on formait les producteurs aux techniques de récolte. Naturellement, ce n’est pas allé loin, parce que très souvent il n’y a pas d’engouement autour de tout ce qui est donné. Finalement, à partir des années 2010, on a commencé à vendre la semence de fourrage. On a d’abord cultivé le Mucuna et la dolique qui sont des légumineuses annuelles pour vendre la semence.

Il en est de même pour le fourrage que nous produisons. Après la récolte de la semence, on fauche le reste du fourrage qu’on bottelle pour la vente. Et beaucoup de gens s’y intéressent. En fait, on ne peut pas offrir gratuitement ce fourrage-ci aux éleveurs. Sinon on va nous reprocher d’avoir donné à telle personne et non à telle autre. Quand vous utilisez des ressources publiques, la vente est la meilleure des solutions du point de vue de l’équité.

C. A. : Par rapport aux semences fourragères, quels sont les prix qui sont proposés aux producteurs ?

S.O. : Nous vendons la semence par kilogramme. Nous avons un catalogue officiel au niveau de l’INERA qui permet de vendre les semences fourragères de façon harmonisée à Farako-Bâ, à Saria, à Dori… Le kilogramme de semence de base des légumineuses fourragères à grosses graines (Mucuna et dolique) coûte 2 500 F CFA, sauf le niébé fourrager qui est à 3 000 F CFA.

Tout simplement parce que sa production est plus difficile. La semence de base des variétés de sorgho à double usage est à 1 500 F CFA le kilo (Grinkan, Sariasso 14, Sariasso 16, Sounbatimi, ICSV-1049,…). Le pois d’Angole est à 5 000 F CFA le kilo. Par contre, les Stylosanthes (guianensis et hamata), les Brachiaria (mulato et ruziziensis) et le Panicum maximum qui sont plus difficiles à produire coûtent 25 000 F CFA le kilo. Quant à l’Andropogon gayanus dont la récolte de la semence est suffisamment pénible, son kilogramme coûte 50 000 F CFA et même 75 000 F CFA ailleurs.

C. A. : Est-ce qu’avec ces prix qui sont relativement élevés, vous arrivez à avoir des clients ?

S.O. : Oui. Cela ne suffit même pas, puisque le besoin est là. Dans beaucoup de zones, les gens veulent réintroduire l’Andropogon gayanus qui est en voie de disparition. Mais ce n’est pas parce qu’il y a la demande qu’on a augmenté les prix. Quand on calcule les coûts de production d’un kilogramme de semence d’Andropogon, ce n’est pas facile. Au niveau de la recherche, si les prix sont élevés, c’est parce qu’on intègre beaucoup de paramètres. On emploie des gens pour faire le travail et la main-d’œuvre coûte cher.

Nous ne vendons pas les semences avec des buts lucratifs. Ce qu’on a l’intention de faire, c’est de former des producteurs semenciers qui vont rendre disponibles les semences de très bonne qualité. En ce moment, les prix pourront peut-être baisser.

C. A. : Un producteur de fourrage peut-il prélever directement la semence dans son champ ?

S.O. : Oui. Si vous voulez du bon fourrage, il ne faut pas que les plantes arrivent à maturité, sinon ça devient de la paille. Il faut plutôt récolter juste au moment où les plantes sont au stade d’épiaison. C’est la période optimale. Puisque quand les feuilles font la photosynthèse, elles accumulent tous les éléments nutritifs qu’il faut, qui vont être transférés pour remplir les grains, après quoi les pailles se vident.

Alors qu’il faut éviter cela. C’est pourquoi la meilleure période de récolte, pour ce qui est des herbacées ou même des légumineuses, c’est au début d’apparition des panicules et des fleurs. Une autre alternative est de couper une partie de votre champ pour avoir du bon fourrage et laisser l’autre pour avoir les grains, c’est-à-dire les semences. Mais il y a aussi des espèces fourragères qu’on peut repiquer. Si on prend la famille des Panicum, même parmi les Brachiaria, on peut déterrer des souches, séparer les talles et repiquer comme le riz.

C. A. : Quelle quantité de semences fourragères faut-il pour couvrir un hectare ?

Selon Dr Ouédraogo, les Panicum font partie des espèces fourragères qu’on peut repiquer.

S.O. : Tout dépend des variétés que vous avez choisies. Par exemple, pour les Panicum, les Stylosanthes, les Andropogon… qui ont de petits grains, il en faut 4 à 6 kg pour semer sur un hectare. Pour le niébé fourrager, il faut 12 kg, 40 kg pour le Mucuna et 16 kg pour la dolique, parce que les graines sont grosses. En ce qui concerne l’Andropogon gayanus par exemple, nous ne recommandons pas les semis à la volée, mais en lignes continues ou en poquet. De sorte qu’on puisse mécaniser l’entretien et que l’Andropogon ne se confonde pas aux autres herbes au stade jeune.

La plupart des espèces que nous vendons n’ont pas besoin de deux sarclages mais d’une seule. Il suffit de leur donner un petit avantage sur les mauvaises herbes par un sarclage entre 15 et 20 jours après le semis. Après quoi, elles occupent déjà tout le terrain. Toutefois, il faut continuer les entretiens en arrachant les mauvaises plantes afin de laisser le pâturage propre.

C. A. : Qu’en est-il des rendements des plantes fourragères ?

S.O. : Là aussi, cela dépend des espèces. Pour l’Andropogon, on peut avoir 15, 20 et même 40 tonnes de matière sèche par hectare et par an, en fonction de la gestion. Si on irrigue et on fertilise le champ, on peut aller à 40 ou 50 tonnes. Mais si vous semez sans entretien, vous n’allez pas avoir quatre tonnes par hectare la même année. Avec la fertilisation et l’irrigation, vous pouvez avoir trois à quatre coupes dans l’année. Quinze tonnes de matière fraiche peuvent correspondre à cinq tonnes de matière sèche.

C. A. : Toutes les espèces fourragères ont-elles besoin d’engrais ?

S.O. : Les engrais sont plus ou moins indispensables. Ce ne sont pas forcément les engrais chimiques. La fertilisation est importante. Elle peut ne pas être minérale mais organique. On peut utiliser la fiente de volaille qui contient beaucoup d’azote ou le fumier des bœufs qui contient du phosphore.

Si on prend les plantes comme Andropogon gayanus, le Brachiaria (ruzizensis, moulato) ou les Panicum, les racines vont plus en profondeur dans le sol. Mais n’empêche qu’au bout d’un certain temps, il faut fertiliser sinon la production va baisser. Quand les feuilles sont jaunes, cela signifie qu’il n’y a pas assez d’azote. Si les plantes sont bien vertes mais ne se développent pas vite, cela veut dire qu’il manque du phosphore. Il faut les apporter pour optimiser la production de biomasse.

C. A. : La plupart des plantes sont attaquées par les ennemis des cultures. Les espèces fourragères sont-elles épargnées ?

S.O. : Les herbacées n’ont pas besoin d’être traitées parce qu’elles ont leur propre mécanisme de défense contre les ennemis des cultures. Quand elles sont au stade jeune, il peut arriver que des chenilles attaquent les feuilles mais avec les pluies, ça passe. Là où c’est délicat, c’est avec les légumineuses parce qu’elles contiennent beaucoup d’azote.

A un certain moment, quand l’humidité de l’air devient très élevée, pouvant atteindre 80% au mois d’août-septembre, il y a des champignons qui peuvent se développer sur les feuilles et provoquer leur chute. Donc il faut un traitement phytosanitaire généralement aux fongicides lors des semis pour prévenir. C’est pourquoi, on recommande d’attendre fin juillet ou début août avant de semer le niébé fourrager dont la couverture du sol par les feuilles est totale au stade avancé de développement.

C. A. : Quelles difficultés rencontrez-vous dans la production du fourrage ?

S.O. : Nous, en tant que chercheurs, les difficultés que nous rencontrons sont liées au manque d’argent pour payer la main-d’œuvre au bon moment pour exécuter correctement les travaux. C’est souvent le cas pour la protection phytosanitaire de certaines cultures comme le niébé et la dolique.

Pour avoir les semences de niébé, il faut au moins un traitement phytosanitaire au début de la floraison et un second traitement deux semaines après. On recommande des insecticides systémiques pour le niébé fourrager, vu que l’abondance du feuillage limite l’efficacité des insecticides de contact. Sinon vous allez avoir des feuilles et pas des graines. Les feuilles vont favoriser le développement des insectes qui vont s’attaquer à toutes les fleurs et les jeunes gousses.

Il y a aussi des éleveurs environnants qui entrent très souvent clandestinement dans le domaine de Farako-Bâ pour faire paître leurs animaux. Ils viennent vers 16h 30, au moment où les agents sont descendus ou bien les weekends, parce qu’ils savent qu’il n’y a que quelques gardiens. Notre domaine fait 475 hectares et n’est pas clôturé. Les éleveurs entrent de tous les côtés et c’est difficile pour une dizaine de gardiens de contrôler cela.

C’est l’une des difficultés que nous rencontrons en matière de recherche à Farako-Bâ. Pour clôturer 475 hectares, ce n’est pas simple non plus. Il faut que l’Etat nous aide, car c’est un patrimoine national qu’il faut préserver pour les générations présentes et futures. Du côté des producteurs, c’est l’indisponibilité des semences fourragères et surtout leur coût élevé qui sont indexés.

Mais le véritable souci pour eux, c’est la question de conservation du fourrage. On a vu des éleveurs qui l’ont stocké dans leurs maisons. Il faut donc les aider à acquérir des infrastructures relativement simples pour conserver le fourrage. L’autre aspect important est de les accompagner dans la valorisation efficiente de ce fourrage par des productions animales intensives et orientées vers le marché. Cela leur permettra d’être motivés par des gains financiers, ce qui est déterminant pour l’adoption de la production fourragère.

Entretien réalisé par Mady KABRE