Prosper Zemba, DG des productions végétales : « l’offensive agropastorale est une politique très ambitieuse »

Prosper Zemba : « nous avons mis les petits plats dans les grands pour atteindre les objectifs ».

Dans le cadre de l’offensive agropastorale, le ministère en charge de l’agriculture compte atteindre l’autosuffisance alimentaire d’ici à 2025. A cet effet, plusieurs actions sont engagées en vue de parvenir aux résultats escomptés. Dans les lignes qui suivent, le Directeur général (DG) des productions végétales, Prosper Zemba, dévoile toutes les mesures prises pour accompagner la mise en œuvre réussie du projet.

Carrefour africain (C.A.) : Quelles sont les missions et les attributions assignées à votre direction?

Prosper Zemba (P.Z.) : La Direction générale des productions végétales (DGPV) a pour principale mission de contribuer au développement durable des productions agricoles. Et pour pouvoir mener à bien cette mission, elle a donc de nombreuses attributions. Parmi les plus importantes, il y a la contribution à élaborer et à mettre en œuvre les projets de développement de production agricole. Mais aussi de travailler à mettre à la disposition des producteurs des intrants et des équipements de qualité ; de veiller au respect de la réglementation en matière d’intrants, de pesticides et d’équipements agricoles.

Une autre mission phare est de veiller au contrôle de la qualité des produits agricoles et agroalimentaires dans les postes frontaliers, dans les aérogares et aussi au niveau des aéroports. Et enfin, une dernière mission est de promouvoir la vulgarisation agricole au profit des producteurs. A travers cette dernière mission, c’est d’apprendre aux producteurs les bonnes pratiques agricoles de production en vue d’intensifier la production agricole.

C.A. : Y a-t-il une synergie d’actions entre votre direction et les autres structures de contrôle des denrées alimentaires au niveau des frontières ?

P.Z. : A ce titre, nous avons des collègues qui sont formés et qui ont un équipement minimum pour pouvoir effectuer eux-mêmes quelques tests au niveau des frontières. Avec l’appui du ministère de la Santé et de certains partenaires, nous avons eu des équipements pour tester l’iode et l’humidité au niveau du sel, le fer au niveau des huiles et l’aflatoxine dans certains produits alimentaires dans les frontières. Ce sont des kits de détection rapide qui leur permettent de s’assurer que les produits sont de qualité.

Maintenant, s’il y a des doutes, des prélèvements sont effectués et envoyés dans des laboratoires, notamment le laboratoire national de santé publique qui est devenu aujourd’hui l’Agence nationale pour la sécurité sanitaire de l’environnement, de l’alimentation, du travail et des produits de santé (ANSSEAT) qui nous appuie aussi pour l’analyse de certains échantillons. Mais à terme, le ministère en charge de l’agriculture est en train de construire un laboratoire d’analyse des produits agroalimentaires afin de pouvoir se doter de tout le plateau technique pour faire toutes les analyses. Ce laboratoire est presque achevé.

C.A. : Le ministère en charge de l’agriculture s’est lancé dans une offensive agropastorale. Quelle sera la contribution de votre direction à la mise en œuvre de ce projet ?

P.Z. : L’offensive agropastorale et halieutique 2023-2025 est une initiative des plus hautes autorités du ministère dans le but d’atteindre l’autosuffisance alimentaire au Burkina Faso à l’horizon 2025. C’est une politique qui est très ambitieuse et nous avons mis les petits plats dans les grands pour atteindre cet objectif. La DGPV a donc une part importante dans cette activité. Chez nous, c’est de travailler à ce que les intrants, notamment les semences, les engrais, soient disponibles en quantité et en qualité pour intensifier la production agricole.

A ce titre, il y a des innovations qu’il faut faire pour cette mise à disposition. Il faut notamment travailler à ce que la Centrale d’approvisionnement en intrants et matériels agricoles (CAIMA) puisse être une structure plus professionnelle. Nous allons donc renforcer leurs capacités. Aussi, une synergie sera créée entre la CAIMA et la Société d’exploitation des phosphates du Burkina (SEPB) qui a une unité de production d’engrais à Koupèla. Et ces deux structures vont travailler en tandem afin de mettre à la disposition des producteurs les engrais nécessaires.

Et pour cela, la SEPB verra sa capacité d’acquisition des facteurs de production accrue. Un autre élément à apporter est la formation des acteurs. A ce niveau, la DGPV sera à pied d’œuvre pour accompagner les producteurs et mettre les bonnes pratiques agricoles au cœur de leurs activités. Dans l’offensive agropastorale, il y a de nouvelles cultures, notamment le blé qui est méconnu des acteurs. Il y aura donc des renforcements de capacités, des accompagnements rapprochés pour que les acteurs puissent développer les compétences qu’il leur faut pour réussir la production du blé.

C.A. : Chaque année, le problème du respect des délais de livraison des intrants agricoles se pose. Pouvez-vous rassurer les producteurs que cette année, ils vont arriver à temps ?

P.Z. : Il faut noter que les intrants agricoles ne sont pas produits au Burkina Faso. Le pays n’ayant pas un accès à la mer, ça rend difficile notre approvisionnement. Alors, pour résoudre définitivement ces questions, les autorités ont pris la mesure de constituer un stock de sécurité au niveau des engrais. Et cela, à l’image des stocks de sécurité de la SONAGESS (Ndlr : Société nationale de gestion des stocks de sécurité alimentaire) et les structures qui gèrent la sécurité alimentaire.

Nous allons aussi nous doter d’un stock de sécurité pour les engrais. De telle sorte que nous allons faire des rotations. Pour l’année N, les engrais vont sortir de notre stock pour alimenter le besoin des producteurs. Pendant ce temps, de nouvelles acquisitions viendront renforcer le stock qui est déjà existant. Là, même si nous avons des perturbations sur le marché, nous ne serons pas fortement impactés. C’est d’abord la première mesure prise par les autorités. La deuxième mesure concerne l’arrimage CAIMA-SEPB qui va aussi permettre de faciliter l’acquisition des intrants, mais aussi l’approvisionnement des intrants au profit de la SEPB à travers le renforcement de leurs capacités financières.

A ce niveau, l’Etat va encore les accompagner à acheter de grandes quantités de matières premières sur le marché international. De telle sorte que les engrais qui vont sortir de l’unité de Koupèla puissent se vendre à des prix assez bas au profit des producteurs. Pour la campagne agricole humide à venir, il y a eu déjà des anticipations sur les acquisitions des engrais. Je pense que tout cela va renforcer la mise à disposition des intrants aux producteurs à temps.

C.A. : L’unité de Koupèla a-t-elle une capacité de production à même de satisfaire la demande ?

P.Z. :Non. Parce qu’elle vient de démarrer et elle n’a pas encore atteint son plein régime. Et pour cela, il lui faut une mise à niveau en matière d’équipements mais aussi en matière financière pour lui permettre d’acheter les intrants. Les facteurs de production ont un coût sur le marché et il faut donc pouvoir les acheter pour transformer.

C.A. : L’offensive est venue après l’initiative présidentielle. Aussitôt née, elle a été lancée. Est-ce qu’il n’y a pas une sorte de précipitation à votre niveau ?

P.Z. : Je ne crois pas qu’il y ait une précipitation. L’initiative présidentielle est une action de la plus haute autorité du pays, notamment le chef de l’Etat, qui vise à accompagner le secteur agricole pour son développement. Parce que nous avons mis en place des politiques depuis des années, mais les résultats étaient mitigés. Et c’était aussi sa contribution de donner un élan à la production agricole pour atteindre l’autosuffisance alimentaire.

Au vu de cela, avec le nouveau ministre, le commandant Ismaël Sombié, il y a eu des réflexions pour essayer de faire les choses autrement. Comme on le dit, on ne peut pas faire du neuf avec du vieux, car les mêmes actions vont toujours conduire au même résultat. On a voulu donc avoir une approche assez différente de ce qui était fait dans le temps. Et c’est ce qui a valu l’élaboration de l’offensive agropastorale pour tenir compte de plusieurs produits stratégiques dont le Burkina Faso est dépendant. Il s’agit notamment du riz, du poisson, de la pomme de terre, du blé, etc. que nous importons en grande quantité.

Au regard des enjeux internationaux et sous régionaux, on peut être confronté à un problème d’approvisionnement de ces produits si jamais les frontières sont fermées. Il faut donc compter sur nos propres capacités à nourrir le Burkina Faso. C’est pour cela que ces produits ont été choisis pour une production à grande échelle, afin de satisfaire les besoins du pays. C’est pour dire que ces deux actions ne sont pas antagonistes. Elles se complètent et se renforcent afin de contribuer à l’atteinte de la sécurité alimentaire et de l’autosuffisance alimentaire au Burkina Faso.

C.A. : Le marché burkinabè est souvent envahi par des intrants agricoles frauduleux. Qu’est-ce qui est fait à votre niveau pour lutter contre cette pratique ?

P.Z. : La fraude et la contrefaçon sont un phénomène qui a la peau dure. Ce sont des groupes suffisamment organisés qui les pratiquent et cela a des implications financières, des pertes économiques pour notre pays et même pour les producteurs. La DGPV, dans l’une de ses missions, veille au respect de la réglementation. Il faut dire qu’il y a une loi qui réglemente le secteur des semences, des engrais et des pesticides.

Et nos collègues qui sont au niveau des frontières, auprès des douaniers, dans les aérogares et les aéroports, effectuent le contrôle des produits en transit ou en entrée au Burkina Faso. Toutefois, ce sont des postes qui sont fixes. Alors que le plus souvent, la grande partie des fraudes se fait le long des frontières où nous n’avons pas assez de visibilité. C’est par des chemins détournés, avec des tricycles, que les gens inondent le marché avec ces engrais et ces produits de mauvaise qualité, notamment les pesticides. Donc, au vu de cela, la DGPV effectue des missions de contrôle dans les marchés et souvent dans des points de grande distribution.

Et cela, avec l’appui des Forces de défense et de sécurité (FDS). Cette année, il y a eu plusieurs contrôles combinés. Il y a eu des dénonciations qui nous ont permis aussi, avec l’appui des FDS, de pouvoir récupérer des engrais et des pesticides en quantité pour détruire. Présentement, la loi sur la gestion des engrais et des pesticides est en relecture, dans le but de renforcer les éléments de contrôle. Il y a des peines d’emprisonnement et des amendes de grands montants qui sont prévues pour dissuader les fraudeurs.

C.A. : Est-ce que des fraudeurs ont déjà été appréhendés et sanctionnés ?

P.Z. : Nous avons même été en justice avec certains importateurs. Je pense qu’il y a eu un cas à Fada N’Gourma et deux autres à Bobo-Dioulasso, où des personnes sont détenues. Une procédure judiciaire est en cours à leur encontre, parce que nous avons saisi des pesticides dans le marché de Bobo et nos agents ont failli se faire lyncher. N’eût été l’intervention des FDS, nous aurions connu un drame.

A la suite de cela, le procureur a été saisi et une enquête a été ouverte. Des personnes ont été interpellées et des pesticides saisis. Donc la procédure suit son cours et je pense qu’avec la rigueur de la loi et les dispositions que nous sommes en train de rendre un peu plus contraignantes, ça va permettre à long terme de réduire les cas de fraude.

C.A. : Le Burkina Faso a atteint l’autosuffisance alimentaire en maïs depuis 1998. Dans le cadre de l’offensive, cette céréale est encore retenue. Le choix s’est porté sur deux variétés hybrides, à savoir Komsaya et Bondofa. Expliquez-nous ce qui a milité en faveur de ces deux variétés quand on sait qu’il y en a d’autres, plus rentables ?

P.Z. : Effectivement, le Burkina Faso couvre ses besoins en maïs. Mais, il faut savoir que les besoins croissent selon les usages que nous en faisons. Aujourd’hui, l’aviculture est très développée au Burkina Faso et cela demande beaucoup de maïs pour la fabrication de l’aliment-volaille. Il y a aussi les brasseries burkinabè qui ont commencé à consommer notre maïs, pour la production de la bière. En plus de cela, il y a les usages quotidiens des familles. Nous avons aussi les exportations que nous faisons lorsque la situation est favorable.

Nous avons voulu mettre en avant ces hybrides comme Komsaya et Bondofa, mais ce n’est pas seulement ces deux variétés. Il y a d’autres hybrides, notamment Semax 5, qui sont aussi visées dans l’offensive. Les deux premières variétés ont été développées par des chercheurs burkinabè. Lorsque vous ne protégez pas votre secteur semencier, à un moment donné, vous allez vous faire prendre dans un piège. Je disais tantôt que si on fermait nos frontières tout de suite, les Burkinabè devraient pouvoir se nourrir eux-mêmes. Et si vous êtes dépendants des semences hybrides de haut potentiel de rendement, dès qu’on ferme les frontières, vous courez un grand risque de famine.

C’est pour cela que lorsque vous développez ce genre d’initiative, il faut être assez large et avoir plusieurs actions. La variété Semax 5 est développée par des firmes étrangères et que nous voulons essayer aussi. Parce qu’au regard de son comportement sur le terrain, il a un potentiel qui est assez énorme. Donc, nous ne sommes pas fermés au niveau de l’offensive.

C.A. : Le Burkina Faso traverse une période assez difficile liée à l’insécurité. Quelles sont les mesures prises pour sécuriser les zones de production ?

P.Z. : A ce niveau, nous avons travaillé avec les responsables de la sécurité pour leur indiquer nos différentes zones d’intérêt, afin qu’ils puissent y mener des opérations de sécurisation. Pour notre part, nous communiquons toujours les zones ou les périmètres qui ont un intérêt particulier. Par exemple à Bagré, un groupe de Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) a été installé. Ils sécurisent en même temps tout le domaine de Bagré mais s’adonnent aussi à l’agriculture. Ces genres d’initiatives peuvent être développées dans d’autres zones, en plus des actions quotidiennes que nos FDS mènent sur le terrain.

C.A. : Quel message à l’endroit des producteurs qui s’apprêtent à amorcer l’offensive agropastorale ?

P.Z. : Le message, c’est de dire que le Burkina Faso traverse une situation difficile et qui est consécutive à la crise sécuritaire que nous vivons. Et les choix politiques que nous avons effectués ont leurs conséquences. Ces conséquences, nous ne pouvons pas toutes les prévenir. Mais déjà, c’est de prendre les dispositions pour que nous soyons à même de nous nourrir par nous-mêmes en cas de difficultés.

Parce que la faim est une arme assez puissante que les ennemis peuvent utiliser contre nous. C’est pour cela que nous demandons à l’ensemble des acteurs du monde rural de s’approprier l’offensive agropastorale. J’invite aussi l’ensemble des investisseurs burkinabè à en faire autant, car leur contribution est beaucoup attendue, afin que nous puissions atteindre l’autosuffisance alimentaire.

Entretien réalisé par Mady KABRE et Ouamtinga ILBOUDO